L’humanité ne peut plus ignorer que son mode de vie constitue le facteur principal, voire unique, de la dégradation de son propre milieu. La crise de la COVID-19 nous a prouvé notre impact sur les écosystèmes. Notre instinct de survie nous pousse toutefois à réfléchir à des solutions qui permettraient de préserver notre environnement. Le biomimétisme représente une des voies à explorer pour accomplir cette transition : imiter la nature pour assurer la pérennité de toute la biosphère. Zoom sur un concept au service de l’innovation durable.
Le biomimétisme, qu’est-ce que c’est ?
Une méthode ancestrale
L’imitation de l’environnement pour innover et résoudre des problèmes ne date pas d’hier. Les hommes ont toujours tenté de tirer des enseignements du monde qui les entourait pour copier ou convertir des mécanismes naturels.
Dès l’Antiquité, l’humanité prend appui sur des phénomènes analysés dans la nature pour théoriser des concepts et améliorer les sciences.
Certains historiens laissent même entendre qu’il y a plus de 5 500 ans, l’invention de la roue aurait été inspirée par l’observation des scarabées faisant rouler leur sphère de bouse.
Au quinzième siècle, Léonard de Vinci étudie les insectes, les oiseaux et les chauves-souris et reproduit leurs ailes pour esquisser une machine volante. Si le principe est si ancien, on peut se demander pourquoi cette notion se retrouve sur le devant de la scène ces dernières décennies.
La nouveauté réside dans l’acception de l’imitation du vivant comme un concept au service du développement durable. Le biomimétisme représente une vision moderne de la bio-inspiration.
Définition moderne
Le biomimétisme, du grec βίος (bios : la vie) et μίμησις (mimèsis : l’imitation) se rapporte à la pratique qui consiste à observer, comprendre et restituer les stratégies et propriétés du vivant pour résoudre des problématiques techniques.
Ce concept part du principe que les biotopes demeurent les meilleurs laboratoires de recherche et développement qui existent avec 3,8 milliards d’années d’adaptation aux milieux et aux saisons.
Telle que popularisée par Janine Benyus dans son livre Biomimétisme : quand la nature inspire des innovations durables, publié en 1997, cette méthodologie ambitionne d’œuvrer pour la préservation de tous les êtres vivants.
Cette stratégie nous invite à cesser de dominer notre milieu et de profiter de ses ressources. Au contraire, la vision du biomimétisme formulée par Janine Benyus prône une symbiose entre l’humanité et les écosystèmes. Si nous souhaitons survivre en tant qu’espèce, c’est cette conception du monde qui semble viable.
Champs d’application
Dans un article de 2005, Janine Benyus recense 6 disciplines susceptibles de bénéficier de cette science :
- l’énergie ;
- l’agriculture ;
- la gestion ;
- les mathématiques ;
- les matériaux ;
- la médecine.
D’après le Ceebios, Centre d’étude et d’expertise en biomimétisme, le biomimétisme englobe, en réalité, presque tous les secteurs d’activité :
- l’aéronautique ;
- les transports (le nez du train Shinkansen à Tokyo s’inspire du bec du martin-pêcheur) ;
- la santé et la recherche biomédicale (créer des aiguilles indolores à la suite de l’observation des moustiques) ;
- la construction (biociment grâce au corail ou bâtiment imitant une termitière pour diminuer la consommation d’énergie) ;
- l’agroalimentaire avec la permaculture, etc.
L’approche biomimétique se trouve au carrefour de nombreuses disciplines. Cette transversalité suppose une mise en relation étroite des différentes techniques et intervenants.
Quelle est la démarche scientifique pour imiter la nature ?
Le processus d’étude du biomimétisme
La norme ISO 18458:2015 conceptualise la démarche biomimétique en trois phases :
- l’analyse de systèmes biologiques ;
- la transformation de ces systèmes en un modèle ;
- l’application du modèle à un développement technique ou organisationnel (produits et services) répondant à un besoin.
Les processus de réflexion biomimétique
Le processus de réflexion de l’imitation du vivant peut se présenter sous deux formes :
- partir d’une contrainte ou d’un problème anthropique et observer la nature pour trouver des solutions ;
- partir d’une caractéristique, d’un comportement ou d’une fonction d’un organisme ou d’un écosystème et rechercher une mise en pratique possible.
Ces deux manières d’aborder le raisonnement biomimétique supposent une coopération entre les intervenants (ingénieurs, biologistes, écologistes), mais dans la seconde procédure, ce sont la biologie et l’écologie scientifique qui influent sur les réalisations humaines.
La nature comme source d’inspiration durable
La visée du biomimétisme est de parvenir à concevoir et produire de façon durable et intégrée à l’environnement.
Pour cela, Janine Benyus soumet d’autres critères aux différents acteurs concernés. Elle propose de penser la nature comme un modèle à suivre, une référence, et de se demander :
- cette innovation favorise-t-elle la vie ?
- est-elle utile au principal intéressé ?
- va-t-elle durer ?
Ce questionnement donne une valeur philosophique à la bio-inspiration. Elle invite à prendre le temps d’observer le monde et de s’en imprégner. Elle ajoute que notre environnement représente un guide d’idées pour innover et pas seulement une source de matières premières.
En procédant de cette façon, nous en viendrons à envisager la protection des écosystèmes comme une évidence. Et ainsi, nous nous affranchirons de considérations trop anthropocentriques.
Les domaines d’inspiration en biomimétisme
Copier les formes
C’est la façon de prendre modèle sur la nature qui est la plus répandue et peut-être la plus simple à mettre en place.
La société WhalePower a recréé la forme des nageoires pectorales des baleines à bosse pour concevoir des pâles d’éolienne. Ce procédé améliore la performance énergétique de 20 % et a contribué à diminuer le bruit des machines.
À l’échelle microscopique ou nanométrique, on peut citer le cas de l’analyse de la peau de requin et de ses rainures qui réduisent la résistance à l’eau. Cette découverte a permis de fabriquer des combinaisons de natation.
Les propriétés de la structure de la feuille de lotus ont été reproduites pour concevoir des matériaux autonettoyants.
Imiter des matériaux et des procédés
Pour Janine Benyus, la nature possède au moins « 4 ficelles du métier de fabricant de matériaux » :
- Des processus de fabrication respectant la vie ;
- Une hiérarchie ordonnée de structures ;
- L’autoassemblage ;
- Le matriçage des cristaux à travers les protéines.
À titre d’exemple, une équipe de physiciens belges, français et canadiens a utilisé la structure de l’abdomen des lucioles pour augmenter de 65 % la puissance lumineuse des LED.
S’inspirer des écosystèmes
Le biomimétisme écosystémique prétend comprendre comment atteindre un système durable en se penchant sur les relations entre les espèces et leur milieu.
Par exemple, une forêt de séquoias constitue un écosystème mature et complexe et a développé des procédés infaillibles, sous la forme de 10 préceptes essentiels.
Dans ce type de biome, les organismes :
- Consomment les déchets comme ressources ;
- Se diversifient et coopèrent pour exploiter pleinement leur habitat ;
- Captent et utilisent l’énergie avec efficacité ;
- Optimisent plus qu’ils ne maximisent ;
- Utilisent les matériaux avec parcimonie ;
- Ne souillent pas leur nid ;
- N’épuisent pas les ressources ;
- Restent en équilibre avec la biosphère ;
- Se nourrissent d’informations ;
- Se fournissent localement.
Un exemple d’inspiration biomimétique écosystémique : le Bullitt Center. Il copie les sapins d’Amérique du Nord et les forêts dans leur ensemble. Bâtiment décrit comme « le plus vert du monde », il consomme peu de ressources énergétiques et s’appuie sur le recyclage de l’eau.
Comment se diriger vers un biomimétisme éthique ?
Une question fondamentale se pose lorsque l’on s’inspire du vivant pour innover durablement : comment juger l’utilité de nos inventions et s’assurer qu’elles sont au service de la vie ?
Distinguer le biomimétisme des notions connexes
Les solutions inspirées de la nature ne relèvent pas toutes des mêmes procédés.
Il y a lieu de distinguer les termes « bioinspiration », « biomimétique », « biomimétisme » ou encore « bionique ».
Depuis 2015, trois normes ISO et une norme expérimentale AFNOR clarifient le vocabulaire et encadrent les différentes pratiques.
Malgré ce cadre, les définitions ne font pas consensus :
- ces normes considèrent que la bio-inspiration se base sur l’observation des systèmes biologiques.
- la bio-inspiration comprend la biomimétique en tant que synergie interdisciplinaire entre biologie et technologie pour résoudre des problèmes pratiques.
- le biomimétisme relève de la bio-inspiration, mais il est plutôt défini comme une philosophie prenant pour modèle la nature afin de répondre aux enjeux du développement durable (social, environnemental et économique).
- on constate que seul le biomimétisme suppose la préservation de la biodiversité.
Ne pas succomber au greenwashing
Se méfier du « bio »
Attention donc à ne pas confondre l’inspiration du vivant avec tous les types de bio-inspiration, dont découle la bionique par exemple.
La bionique n’a pas pour vocation de considérer le caractère soutenable de ses innovations. Utiliser le préfixe « bio » ne garantit pas systématiquement un idéal écologique.
L’utilisation du terme biomimétisme semble parfois paradoxale, à l’instar de l’écotourisme, qui suppose d’investir des lieux préservés de l’homme pour y installer des structures censées protéger la nature.
En France, en 2015, le CESE, Conseil économique social et environnemental, a rendu ses préconisations en matière de biomimétisme et insiste sur la dimension soutenable de la démarche. Le Conseil souhaite pour sa part que copier le vivant devienne un outil de transformation des modes d’innovation et de production, lesquels doivent s’inscrire dans la durée. S’inspirer des fonctions et de l’organisation du vivant doit permettre de réconcilier la technosphère et la biosphère.
Considérer les innovations biomimétiques dans leur globalité
Appliquer les règles de la nature ne suffit pas à garantir la durabilité d’une innovation. On flirterait dans ce cas avec le principe du greenwashing, conscient ou inconscient.
Les différentes industries et entreprises peuvent être tentées d’exploiter le concept à des fins uniquement commerciales.
Des produits, procédés, ou protocoles sont conçus en prenant exemple sur l’environnement et promus en ce sens, mais quand on y regarde de plus près, certains :
- sont élaborés avec des substances nocives ;
- utilisent des quantités vertigineuses d’énergie non renouvelable ;
- sont mis en place au détriment du respect des écosystèmes et des populations.
Tous les aspects du cycle de vie (fabrication, distribution, intérêt, impact écologique et social) d’une innovation sont à considérer avant de pouvoir la qualifier de bénéfique pour la nature.
La situation du biomimétisme de nos jours
Pour éviter les dérives utilitaristes tournées vers le capitalisme, des philosophes et anthropologues commencent à s’emparer de la question. Lauren Kamili, dans une étude parue en 2019, discute du phénomène et apporte un éclairage riche et nouveau à propos de l’éthique biomimétique.
Le 18 janvier 2022, des chercheurs du Stockholm Resilience Center (SRC) confirment que nous avons dépassé la 5e limite planétaire : le seuil de « pollution chimique » ou « introduction d’entités nouvelles dans la biosphère ». Vaut-il mieux fabriquer plus en imitant la nature ou simplement (radicalement) moins ?
Le biomimétisme ne doit pas être instrumentalisé au profit du « produire plus, consommer plus ». Si cette notion constitue une véritable piste pour orienter nos pratiques, il convient de mesurer son impact et d’inscrire la démarche dans une logique compatible avec l’objectif de préservation environnementale.
Article invité rédigé par Julie Dubois